Les méfaits du capitalisme

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Bien que les difficultés économiques génératrices de récessions et de dépressions causent évidemment beaucoup de dégâts, elles peuvent aussi avoir des effets positifs. Un de ces effets positifs est de fournir aux critiques les plus radicaux de l’ordre actuel l’occasion d’argumenter. Ainsi, la dépression des années 1930 a fourni à ceux qui avaient des alternatives au système capitaliste l’occasion dont ils n’auraient pu disposer si la fausse prospérité des années 1920 s’était poursuivie. La situation est identique aujourd’hui. Beaucoup commencent à mettre en doute les fondements du capitalisme d’une maniéré qu’on n’avait pas constatée depuis des décennies. Étant moi-même, et depuis longtemps, un critique du capitalisme, je me réjouis de cette occasion d’exposer et ses failles fondamentales et le fait qu’existent des alternatives raisonnables.

Qu’est-ce que le capitalisme?

Mais avant de tenter de chercher des alternatives au capitalisme, il nous faut comprendre ce qu’il est, sinon nous serions incapables de voir ce qui ne marche pas dans ce système et pourquoi sa réforme est si difficile à obtenir et à conserver. Bien que les historiens, les économistes et les philosophes aient souvent été en désaccord sur ce qu’est le capitalisme ou sur quand il est apparu, il en existe une définition qui se recommande de soi-même à la fois parce qu’elle nous a été proposée par le Vicaire du Christ et parce qu’elle est conforme à la preuve historique. Cette définition du capitalisme apparaît dans l’encyclique Quadragesimo anno du pape Pie XI de 1931. Au n. 100, ille mentionne comme « le régime dans lequel les hommes contribuent d’ordinaire à l’activité économique, les uns par les capitaux, les autres par le travail ». C’est là l’essence du capitalisme et c’est la raison suprême de ses fréquents effondrements, de sa tendance inévitable à exploiter les travailleurs et à promouvoir le consumérisme et le matérialisme. Bien que, à strictement parler, la séparation du capital et du travail qui caractérise le capitalisme ne soit pas injuste, elle tend toujours à l’injustice et aux maux comme je viens de l’indiquer, injustice et maux que l’on qualifie parfois d’esprit du capitalisme. Pourquoi en est-il ainsi? L’espace qui m’est alloué interdit de longs développements, mais ce qui suit, écrit par Hilaire Belloc, en offre une réponse concentrée.

Mais la richesse obtenue indirectement sous la forme d’un profit tiré du travail d’autres hommes, ou au moyen des échangés, devient une chose absorbée du processus de production. Quand l’intérêt d’un homme pour les choses diminue, son intérêt pour la richesse abstraite—l’argent—augmente. Un homme qui fabrique une table ou cultive sa moisson fait d’une belle moisson ou d’une belle table le test de son aptitude.

La mesure du succès

L’intermédiaire qui acheté ou vend la moisson ou la table ne s’intéresse pas à savoir si la table ou la moisson sont bonnes, mais au profit qu’il peut réaliser entre leur achat et leur vente. Dans une société efficace, la supériorité des choses produites est la mesure du succès : dans une société commerciale, le montant de la richesse accumulée par le négociant est la mesure du succès.[note]An Essay on the Nature of Contemporary England, 1937.[/note]

Pour le dire autrement, le capitalisme créé une puissante classe de propriétaires dont l’intérêt réside non dans la production de choses de valeur pour l’usage, mais dans la vente de tout ce qu’ils peuvent « refourguer » au public, et, en fin de compte, dans la manipulation des instruments financiers sans relation avec une économie réelle de production et de consommation.Bien que, en théorie, une espèce de capitalisme moralement juste puisse exister, en pratique cela est très difficile à soutenir car le cœur du capitalisme c’est de n’accepter aucune limite à son désir d’enrichissement personnel ou à la prolifération des biens, ou encore à son utilisation des ressources naturelles. Les besoins raisonnables des consommateurs ne posent aucune limite à sa production, à ses ventes pas plus qu’un niveau de vie normal n’en pose à son désir de gains. Ainsi, pour qu’un système capitaliste puisse fonctionner de manière juste il serait nécessaire de disposer d’une énorme réglementation de l’État ou des corps intermédiaires capables d’orienter l’activité économique vers le bien commun et d’éviter les injustices.

Dans tous les aspects de la vie sociale

La tradition catholique n’est pas amie avec le capitalisme. Il serait difficile de gonfler la différence entre l’esprit du capitalisme et l’esprit économique caractérisant les catholiques traditionnels. Le capitalisme ne s’est pas contenté de créer de nouvelles manières de structurer l’actionnariat ou d’organiser la production, mais il a promu un esprit qui a imprégné à peu près toutes les institutions sociales. Là où le capitalisme a été le plus libre d’être lui-même, comme aux États-Unis, le calcul économique qui considère tous les as- pects de la vie à l’aune du gain, est suprême. Évidemment, l’avidité et l’injustice existaient bien avant le capitalisme, mais ce dernier a fait de l’avidité un ressort nécessaire de son mode de fonctionnement, il a lâché la bride à l’avidité et a même cherché à l’ériger en vertu ou, à tout le moins, en vice nécessaire à la réussite économique. Ainsi, aux États-Unis, 70% du Produit Intérieur Brut sont constitués par les dépenses du consommateur, dépenses dont l’essentiel est consacré à des choses parfaitement inutiles. Mais sans de telles dépenses l’économie, telle qu’elle est organisée par le capitalisme, ne pourrait pas se survivre.Si le capitalisme est dange- reux, que pouvons-nous mettre à sa place? Comme catholiques, est-ce que notre tradition de pensée sociale offre quelque solution à cette question? Au cours des XIXe et XXe siècles les catholiques, et d’autres personnes, ont proposé des systèmes économiques incarnant l’esprit chrétien traditionnel et évitant les maux du capitalisme comme du socialisme. Le distributisme, par exemple, qui fut défendu par des penseurs et des écrivains de grande renommée comme Hilaire Belloc et G.K. Chesterton, recommandait la généralisation de la petite propriété, tempérée par des limites légales et sociales quant à la quantité des moyens de production détenus. Les entreprises de grandes tailles, quand elles sont nécessaires, pouvant être détenues par un ensemble de travailleurs. L’activité économique y est orientée vers un soutien raisonnable au travailleur et à sa famille. Le distributisme reconnaît que les biens matériels et l’ensemble de l’activité économique existent aux fins de satisfaire aux besoins de l’homme, et non pas à son désir sans limites de consommation. La justice et la quête du bien commun sont fondamentales pour qu’une nation vive sainement, comme elles le sont pour la communauté et la famille. L’avidité ne saurait être le ressort principal de l’économie, car de même que l’appétit sexuel doit être réfréné et discipliné, le désir de l’homme pour les biens matériels doit l’être aussi. L’économie n’est pas un mécanisme autorégulateur qui n’exigerait que peu ou pas de surveillance ou de réglementation, mais elle doit être soumise à la justice sociale comme à la charité sociale ainsi que l’exigeait le pape Pie IX.La vie d’un homme, c’est plus que l’activité économique. Comme l’a écrit le pape Jean-Paul II dans Centesimus Annus, « ce qui est mauvais, c'est le style de vie qui prétend être meilleur quand il est orienté vers l’avoir et non vers l’être »... Le capitalisme ne connaît pas d’autre fin que l’« avoir ». Mais nous savons que si à la fin nous atteignons Dieu, ce sera à cause de ce que nous sommes et non de ce que nous avons.

Thomas Storck

Thomas Storck is the author of Foundations of a Catholic Political OrderThe Catholic Milieu, and Christendom and the West. His recent book is An Economics of Justice & Charity. Mr. Storck serves on the editorial board of The Chesterton Review and he is a contributing editor of The Distributist Review. An archive of his work may be found at thomasstorck.org.

http://thomasstorck.org
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