Small is toujours Beautiful

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Small is Still Beautiful est paru en français.Sous le titre Small is toujours beautiful, le livre de Joseph Pearce vient de paraître en langue française. Voici l’avant-propos de Philippe Maxence à cette édition française.Tout livre est une aventure, et celui-ci n’échappe décidément pas à cette règle. À plus d’un titre, il s’agit même d’un pari. Small Is Still Beautiful de Joseph Pearce a, en effet, été publié en 2006 aux États-Unis. Il appartient à un genre hybride, mêlant la réflexion politique et économique à une véritable enquête auprès des acteurs de terrain. Il ajoute la difficulté—dont le titre retenu pour cette édition française est le parfait reflet—de s’appuyer largement sur un autre ouvrage paru pour sa part dans les années soixante-dix du siècle précédent.Small Is beautiful de Ernst-Friedrich Schumacher avait profondément marqué son époque, au point que le titre de l’ouvrage est devenu un véritable slogan. Au fil des années, le slogan est resté, devenant même une sorte de symbole de la période hippie, mais les réflexions de Schumacher se sont envolées. On a oublié ses avertissements et l’on a même pris une direction radicalement opposée à ce qu’il préconisait. Sous le coup des effets de la crise pétrolière, les entreprises ont engagé un effort de restructuration et ont opté pour un mode de management centralisé. L’implication de plus en plus grande de la finance dans la vie économique a conduit également à une généralisation des fusions qui semblaient ajouter l’avantage d’un élargissement des structures (et donc du marché potentiel) à celui des économies d’échelle.De manière parallèle, le monde politique a suivi un chemin similaire. La fin de la Guerre froide, qui opposait deux blocs clairement circonscrits, a conduit à un renforcement des États-Unis, vainqueur de son adversaire par K.-O., mais aussi à celui de structures internationales comme l’Organisation des Nations Unies (ONU). L’utopie d’un monde uni sous un gouvernement unique semblait devenir enfin une réalité à porter de main. L’Europe elle-même, découpée en morceaux après 1918, puis à nouveau aux lendemains du second conflit mondial, choisit d’accélérer son processus d’unification. Traumatisée par deux guerres mondiales, elle a pensé trouver un refuge historique dans le cocon d’une union qui lui éviterait les divisions nées d’une trop grande diversité. Crainte des décisions à prendre, fuite en avant, lassitude ? Les hommes politiques de chaque nation préféraient remettre leur pouvoir entre les mains d’experts, anonymes et non élus, susceptible de faire fonctionner au mieux la vaste machine technocratique de la nouvelle Europe.Face à un tel processus historique général, que pouvaient représenter les réflexions d’un économiste préconisant le rapatriement des centres de décision au niveau le plus proche de leurs conséquences ou invitant aux nouvelles épousailles entre pouvoir et responsabilité ? La pensée de Schumacher avait été résumée, symbolisée par une formule qui fit le tour du monde: Small Is beautiful. Ce qui est petit représente ce qu’il y a de mieux.Las ! Le conflit dans les Balkans, à quelques heures de Paris, Londres ou Berlin, ne le fit pas croire aux Européens qui pensaient jusqu’ici que le spectre de la guerre s’était éloigné d’eux pour toujours. Le réveil et l’affrontement des petites nations qui avaient été étouffés par la main de fer du communisme de Tito, leur montraient que décidément non, ce qui est petit n’est pas le mieux, le plus raisonnable, le plus sûr, le plus efficace. À l’inverse, la vaste coalition sous l’égide de l’ONU lors de la première guerre d’Irak démontrait que l’union fait la force et permettait de régler des conflits à travers des guerres désormais « propres ». La grande carapace des entreprises capables d’avaler des milliers d’employés offrait une illusion de sécurité. Dans le confort de son appartement du Marais, un oeil sur son poste de télévision l’autre sur les cours de la Bourse, le bourgeois parisien se montrait satisfait. La fin de l’histoire était désormais arrivée, le monde allait enfin pouvoir vivre dans le cadre ultime de son progrès, baptisé du doux nom de mondialisation.C’est dans cette situation tracée à grand trait qu’un jeune écrivain britannique choisit de se replonger dans les écrits de E.F. Schumacher. Homme de son temps, Joseph Pearce a eu une jeunesse agitée, baignée de violence et de haine, alors qu’il faisait le coup-de-poing contre tout ce qui lui semblait contraire à la grandeur de la Grande-Bretagne: aussi bien les étrangers que les catholiques romains. Insatisfait lui-même de cette fuite en avant, il rechercha dans les écrits de G.K. Chesterton les fondements d’une véritable pensée politique. Il y trouva autre chose que la haine. Il y apprit le respect de l’autre et de tout ce qui permet à celui-ci de vivre. Il découvrit l’aversion pour l’impérialisme, la joie d’une société fondée sur l’amitié sociale, le refus du puritanisme, l’exaltation des vertus du bien vivre et le paradoxe de la petitesse qui fait de l’homme une sorte de géant bien fragile dans le cadre immense de l’univers. Surtout, il y rencontra Dieu, se convertit, répudia sa haine des années punk et devint catholique romain, lui qui s’opposa dans la rue à la venue du pape Jean-Paul II en Angleterre. Par gratitude, un point essentiel de la philosophie chestertonienne, il consacra à l’auteur d’Orthodoxie et d’Hérétiques, une superbe biographique qui fut saluée à sa parution, et qui resta de longues années le livre de référence sur le sujet. Un écrivain était né et un nouvel horizon s’ouvrit pour lui. Il enchaîna l’exploration des auteurs d’une veine assez proche de celle de Chesterton (Tolkien, C.S. Lewis, Hilaire Belloc, Oscar Wilde) ou plus contemporain comme Alexandre Soljenitsyne. Il se pencha aussi sur Schumacher, non pour écrire sa vie, mais pour vérifier que ses idées pouvaient encore répondre aux problèmes de notre époque. Un premier essai paru en Angleterre chez HarperCollins en 2001. En 2004, Joseph Pearce devint professeur de littérature à l’Université Ave Maria en Floride, aux États-Unis. Au coeur même du pays le plus représentatif du gigantisme et des idéaux contemporains, il reprit sa réflexion sur Schumacher et publia en 2006, Small Is Still Beautiful : Economics as if Families Mattered.C’est la traduction française de ce livre que vous avez entre les mains. Comme je l’ai indiqué dans les premières lignes de cet avant-propos, en proposant cet ouvrage au public français nous entrons dans une véritable aventure éditoriale tout en posant un pari. Entre 2006, date de la publication aux États-Unis de l’essai de Joseph Pearce, et 2010, année de la parution de sa traduction française, le monde a profondément évolué. Certains chiffres et certaines données avancées par l’auteur pour soutenir son argumentation sont bien évidemment devenus obsolètes. Les reprendre tous pour les actualiser aurait été un travail titanesque. Très vite, cette nouvelle mise à jour aurait été à son tour dépassée alors que nous aurions pris le risque de modifier le texte de l’auteur. Nous avons préféré laisser celui-ci en l’état et apporter tous nos soins aux notes explicatives, véritablement nécessaires pour le public français. Nous sommes persuadés, en revanche, que le fond de l’ouvrage garde toute son actualité et même que celle-ci est renforcée par l’état présent du monde.Il est temps en effet que celui-ci retrouve une taille humaine, réapprenne à vivre plutôt que de s’épuiser dans une course en avant au toujours plus. Que l’on ne nous dise pas qu’ainsi nous regardons l’avenir dans un rétroviseur et que nous tombons dans une sorte d’utopie irréalisable. Bien au contraire, il nous semble que l’avenir ne se prépare qu’en tirant les leçons du passé. Une autre économie est possible. L’enquête menée par Joseph Pearce en Europe et aux États Unis le montre. Son essai en rappelle clairement et simplement les principes. À nous de nous en inspirer. Small Is–toujours–beautiful.

Philippe Maxence

Philippe Maxence is editor-in-chief of the Catholic journal L’Homme Nouveau and the author of numerous books, including Pour le réenchantement du monde: une introduction à Chesterton (2004) and Maximilien Kolbe: Prêtre, journaliste et martyr, 1894-1941 (2011).

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