Une réponse distributiste aux problèmes de la France

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Les Français ne connaissent quasiment pas la pensée politique et sociale de Chesterton, Belloc ou Penty. Ils ont même oublié pour la plupart le grand courant du catholicisme social français, illustré naguère par René de La Tour du Pin, Albert de Mun et tant d’autres. Le terme de « distributisme » sonne mal aux oreilles françaises. Et il renvoie le plus souvent, pour ceux qui connaissent un peu les théories économiques, à un courant français qui porte le même nom, mais qui se rapproche plutôt d’une forme de socialisme étatiste.Pourtant le dernier grand problème auquel ait été confrontée la France—celui des retraites—gagnerait à être envisagé au regard de la doctrine distributiste dans sa version chestertonienne.Le système français des retraites repose sur la solidarité entre générations. Il est principalement géré par un établissement public à caractère administratif, c’est-à-dire par un organisme dépendant de l’État. Le principe de ce système est que les cotisations des personnes actives (les travailleurs) servent à payer la retraite de ceux qui ne travaillent plus. Ce système renforce donc le lien entre les générations et permet normalement une plus grande cohésion nationale. Cependant, il a fini par rencontrer deux difficultés, qui ne remettent pas en cause le principe lui-même, mais son organisation.1°) Le premier écueil tient au caractère étatique du système français. L’organisme qui gère les retraites dépend de l’État et repose sur une vision centralisatrice où tout dépend du sommet. La compétence du personnel d’un tel organisme n’est pas en cause, mais il est vrai que ce système ne favorise pas l’initiative et la responsabilité. Étant des salariés de l’État, les employés ne se sentent pas concernés par une entreprise qui ne leur appartient pas. N’étant pas propriétaires, ils ne se sentent pas non plus responsables des actes qu’ils posent et des décisions qu’ils prennent.2°) Le deuxième écueil auquel est confronté le système français des retraites est directement un problème démographique. Le renouvellement de la population est insuffisant pour assurer la retraite des anciens actifs. Dans un système qui repose sur la solidarité entre les générations, c’est inévitablement aller vers des difficultés insurmontables. Sans nouvelles générations, il n’y a pas de solidarité possible.Devant une telle situation, la France a envisagé deux solutions :– recourir au système par capitalisation ou à un système mixte capitalisation/solidarité. Une telle solution a été abandonnée ;– allonger l’âge légal de départ à la retraite. Il était jusqu’ici de 60 ans. Il est maintenant de 62 ans. C’est l’option qui vient d’être retenue.Malheureusement, cette solution n’en est pas une. C’est reculer pour mieux sauter. Certes, les Français vont travailler plus longtemps. Mais les générations ne se renouvelant pas, le nombre d’actifs va toujours rester moins important que le nombre de retraités. Le problème a seulement été reculé ; pas réglé.C’est là que pourrait intervenir une perspective distributiste. Celle-ci reposerait au moins sur deux principes:1°) mettre la famille au cœur de la société ;2°) laisser les métiers organiser leur propre système de retraite, en fonction des spécificités de chacun, notamment en ce qui concerne les conditions de travail. Ainsi un marin pêcheur exerce sa profession dans des situations beaucoup plus pénibles qu’un employé de bureau. La libre organisation des métiers en tant que corps intermédiaires n’est pas seulement une nostalgie du passé (Guildes, corporations). C’est un aspect essentiel de la doctrine sociale de l’Église. Le Pape Jean-Paul II en a rappelé le principe dans son encyclique Laborem exercens:

Une des voies pour parvenir à cet objectif pourrait être d'associer le travail, dans la mesure du possible, à la propriété du capital, et de donner vie à une série de corps intermédiaires à finalités économiques, sociales et culturelles: ces corps jouiraient d'une autonomie effective vis-à-vis des pouvoirs publics; ils poursuivraient leurs objectifs spécifiques en entretenant entre eux des rapports de loyale collaboration et en se soumettant aux exigences du bien commun, ils revêtiraient la forme et la substance d'une communauté vivante.[note]LE, n. 14.[/note]

Seul un « Guild State » serait à même de favoriser le bien commun et la libre organisation des professions par une application du principe de subsidiarité.[note](cf. The Guild State, GRS. Taylor’s, IHS Press, 2006).[/note] Dans le cas du problème des retraites, tel qu’il se pose aujourd’hui pour la France, ce système social permettrait assurément de répondre aux problèmes des retraites, gérées non par un organisme étatique mais par des caisses professionnelles ou interprofessionnelles, tout en répondant aux particularités des différentes professions, notamment en ce qui concerne le caractère plus ou moins pénible de tel ou tel métier.Cependant, cette solution technique ne serait rien en elle-même tant qu’une autre philosophie sociale anime le corps social. À ce titre, il est clair que le distributisme n’est pas d’abord une théorie politique, une organisation économique ou un programme social, mais une philosophie de la vie sociale. Celle-ci repose notamment sur le caractère sacré et intangible de la famille, que l’organisation politique et sociale doit prendre en compte. Il est évident que les familles n’ont pas d’abord des enfants pour des questions économiques et sociales. Il est évident aussi que sans un ordre économique et social qui respecte la famille plutôt que de la contraindre ou de ne voir que des agents de production, il est impossible de voir un nombre suffisant de familles accueillir les enfants qu’elles désirent. Et de ce fait, il est impossible pour un pays comme la France de voir se perpétuer son système de retraite qui repose sur la solidarité entre générations. Or, le lien solidaire qui unit les générations entre elles, au lieu de ne voir que l’agent économique sur un temps donné, est un principe social sur lequel toutes les sociétés ont vécu jusqu’à l’arrivée du modernisme économique. Le principe est juste ; il implique seulement de remettre la famille au fondement de la société.Pourquoi cette remise en place n’est-elle pas faite alors que son besoin s’impose d’évidence comme le démontre clairement le problème des retraites en France?Avant-guerre, Chesterton a répondu à cette question en écrivant dans The Superstition of Divorce (Divorce) :

Les ennemis de la démocratie veulent désagréger la morale sexuelle, car, par leur structure, les petits noyaux familiaux ressemblent aux petites nations. Comme elles, c’est le cauchemar de l’esprit de haute envergure qui rêve d’empire. Bref, ce que l’on craint, au sens le plus littéral du mot, c’est l’autonomie.

Le relativisme moral, qui s’est imposé avec triomphe en France avec Mai 1968, en désagrégeant la morale sexuelle a détruit la famille et ce faisant a détruit les liens entre générations et empêche aujourd’hui la France d’avoir suffisamment d’enfants pour s’occuper des parents âgés. Il ne reste plus que l’individu sans repère confronté à l’État et au super-État qu’est devenue l’Europe. Pour reprendre le bon chemin, c’est bien la conception distributiste reposant sur la famille, la subsidiarité, l’autonomie, la propriété privée des moyens de production, la profession organisée, qu’il faut remettre en place.

Philippe Maxence

Philippe Maxence is editor-in-chief of the Catholic journal L’Homme Nouveau and the author of numerous books, including Pour le réenchantement du monde: une introduction à Chesterton (2004) and Maximilien Kolbe: Prêtre, journaliste et martyr, 1894-1941 (2011).

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